Voici le compte-rendu du voyage en Inde qui a eu lieu du 21 février au 07 mars 2016. Trois personnes y ont participé : Alexandrine Lambotte-Saligari en tant que présidente de Sruti, Bénédicte Parvaz Ahmad (Insha) en tant que coordinatrice pédagogique et présidente de l’association ETC et Véronique Rochais, infirmière-anthropologue, qui nous a retrouvé à Shajahanpur.

1 – DELHI, LE 22 FÉVRIER

Nous avons profité de notre passage à Delhi pour aller visiter la « Sulabh International Organisation » fondée par le célèbre et charismatique Dr Pathak. Cette association a déjà permis l’émancipation de centaines de milliers d’intouchables grâce à la création d’écoles pour les enfants et de centres de formation pour les jeunes et les adultes défavorisés. De plus, le Dr Pathak a mis en place à travers toute l’Inde les Sulabh toilettes publiques, qui connaissent un succès phénoménal. C’est propre, bien entretenu et sécurisant pour les femmes. L’argent récolté permet aux personnes intouchables de se reconvertir dans de nouvelles professions.

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Très bon accueil et journée très agréable passée au sein de cette association avec la visite de la Sulabh Public School, des différents centres de formation et du célèbre musée international des toilettes (avec la dernière invention du Dr Pathak qui consiste à transformer le biogaz issu des excréments en électricité).

Au sein de l’école, nous avons rencontré le responsable du Sanitation Club Center, structure qui a pour but de sensibiliser les jeunes sur les sujets de la santé et notamment sur celui des menstruations. Quelques jeunes filles nous ont même montré et expliqué le processus de fabrication de serviettes hygiéniques au sein du Sanitary Napkin Facilitation Center. Façon très intéressante et pertinente de mettre au grand jour ce sujet encore trop tabou ! Une conférence du Sanitation Club Center ouverte aux autres acteurs associatifs va avoir lieu le 23 avril, journée à laquelle Shashi Singh, coordinatrice de Sruti en Inde, est invitée.

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Nous avons aussi eu le plaisir de retrouver Xavier Zimbardo, célèbre photographe et reporter « social » qui est actuellement en Inde pour faire un documentaire sur la Sulabh International Organisation et écrire une biographie sur le Dr Pathak.

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2 – VILLAGE DE BAMROULI, DU  24 AU 28 FÉVRIER

Nous retrouvons avec plaisir les habitants du village et plus particulièrement les femmes et les enfants qui participent aux projets de Sruti !

Formation de couture

Actuellement, la 16ème promotion de couture se termine fin mars. En raison de la préparation de son mariage, Niti, la professeur de couture, n’a pas pu assurer les séances lors de notre venue. Nous en profitons pour organiser un jeu de questions-réponses sur différents sujets avec une vingtaine de participantes qui sont toutes des adolescentes entre 13 et 18 ans.

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Les thèmes du quizz étant : vie affective (questions sur les relations dans le couple, le respect de soi, etc), santé (en rapport avec les questions de santé sexuelle et reproductive), nutrition (comment équilibrer un repas, qu’est-ce que des vitamines, du calcium, etc), environnement (recyclage, pollution).

Séance très intéressante où il ressort que la problématique de genre est très présente. Selon les participantes, « les filles sont moins courageuses que les garçons et pleurent beaucoup. On ne leur donne pas la possibilité d’être courageuse ». Ces jeunes filles nous disent « vouloir étudier, travailler puis se marier. Or elles étudient mais doivent ensuite se marier. Et si elles travaillent, il y a très peu de diversité de travail. Et la plupart du temps, une fois que la femme est mariée, elle n’a pas le droit d’aller à l’extérieur pour travailler ». Elles sont aussi très conscientes du problème de la dot.  » Nous savons que les dots posent beaucoup de problèmes car cela entraîne des dettes et beaucoup de femmes meurent à cause de cela. Cela nous fait peur mais on sait qu’on va devoir se marier. L’âge idéal pour le mariage serait 21 ans. Mais il arrive parfois qu’on doive se marier vers 16-17 ans ».

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En raison de son mariage, Niti ne va plus pouvoir être la professeur de couture au sein de Sruti. Néanmoins, il a été convenu qu’elle finisse la promotion en cours. Les sessions reprendront une fois une nouvelle professeure de couture recrutée.

Programme d’Activité Génératrice de revenus (AGR)

Une quinzaine de femmes sont toujours investies dans ce programme. Elles confectionnent des objets en réponse à des commandes provenant de France et réalisent des broderies dans le cadre du projet « Femmes artistes ici et là-bas ».

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Nous nous sommes rendues dans le village de Sindaura (à 8 kms de Bamrouli) pour rencontrer les femmes brodeuses participant à ce projet et d’autres femmes intéressées. En effet, certaines de ces femmes ne peuvent pas venir jusqu’à Bamrouli car leurs familles ne les y autorisent pas. Une femme handicapée (souffrant de polio et ne pouvant marcher qu’à l’aide d’une béquille) souhaite également se joindre au programme mais le problème du transport se pose. Les femmes souhaitent que nous organisions un système de ramassage qui les amènerait jusqu’au lieu de formation. À envisager pour la prochaine formation.

Nous expliquons aux femmes qui sont là que nous recherchons une nouvelle professeure de couture qui soit bien qualifiée afin de proposer une formation solide aux femmes qui pourraient ensuite intégrer le programme d’AGR. Nous indiquons qu’il sera fort possible que la prochaine session de formation soit suspendue le temps de trouver cette personne et que cela pourra prendre entre 6 mois et un an. Les femmes sont d’accord pour attendre. Nous souhaitons que la nouvelle professeure soit de préférence déjà mariée pour éviter qu’elle ne parte rapidement après son mariage comme c’est le cas pour Niti. Nous pensons à Uma, femme veuve qui participe aux broderies des commandes d’artistes. Le problème est que le frère de cette femme d’au moins 35 ans ne souhaite pas que sa soeur sorte du village fréquemment, malgré l’avis positif de ses propres parents.

Comme à chaque mission, une réunion a été organisée avec les femmes investies dans le programme d’AGR. Alors que nous les attendions, nous voyons arriver un groupe d’une dizaine de femmes Chamar (intouchables) du village de Sindaura où nous étions allées deux jours plus tôt.

Elles nous expliquent que les femmes Brahmanes que nous avions vu ne les avaient pas informées de notre passage au village et que c’est par le Pradhan (chef) qu’elles l’ont su. Elles souhaitent s’inscrire au programme de formation de couture pour, ensuite, travailler dans le programme d’AGR. Nous leur réexpliquons ce que nous avions expliqué aux femmes de caste brahmane au village de Sindaura (suspension de la formation le temps de trouver une prof de couture).

Ayant appris qu’Uma (qui est brahmane) avait fait de la rétention d’information envers les Chamars (intouchables) qui ignoraient qu’il y avait depuis des années des formations de couture à Bamrouli, nous revenons sur notre idée de la désigner comme formatrice. Les Chamars sont plus nombreuses et ont davantage besoin de formation. Elles n’ont pas de problème à se mélanger avec d’autres castes. Si cela pose un problème aux hautes castes, c’est à ces dernières de s’adapter.

Le groupe des Chamars est constitué de filles entre 13 et 18 ans et d’une jeune femme veuve de 21-25 ans, maman d’une petite fille d’environ 6 ans. Cette jeune femme, une fois formée, pourrait devenir à son tour formatrice pour les sessions ultérieures car elle ne bougera pas de son village. Il est en effet peu probable qu’elle se remarie. Nous discutons avec le groupe de l’organisation éventuelle du ramassage des participantes pour venir à Bamrouli. La plupart sont des jeunes filles descolarisées qui ne font rien de la journée. Elles sont donc libres le temps de la journée, ce qui arrange aussi les femmes qui ont des enfants scolarisés car elles sont disponibles entre 10h et 14h.

Après avoir discuté avec ce groupe de jeunes filles Chamars, les jeunes filles participant au programme d’AGR arrivent et nous leur demandons ce qu’elles pensent du programme et en quoi cela les aide. Plusieurs soulèvent le problème de la régularité des revenus. Certaines n’ont pas gagné grand chose car elles ont participé à peu de commandes. Les brodeuses ont quant à elles gagné bien plus. Elles se servent alors de cet argent pour s’acheter des choses de meilleure qualité, et/ou comme complément de revenu pour leurs besoins et ceux de leur famille. Certaines arrivent à épargner un peu d’argent en cas de coups durs mais c’est très dur car il y a des dépenses tous les jours ! Elles expliquent aussi que le fait de gagner de l’argent les valorisent aux yeux des autres et améliorent leur propre estime de soi.

Au cours de notre séjour à Bamrouli, nous avons eu une longue discussion avec Shashi Singh, la coordinatrice du projet, qui a souhaité remettre en cause le projet d’AGR tel qu’il est mis en place depuis quelques années. En effet, elle préférerait confier plus de travail à quelques femmes qualifiées qui pourrait ainsi en vivre à plein temps. Nous lui rappelons que le but de l’association Sruti est d’amener les femmes vers une émancipation économique et qu’il nous semble important d’en toucher un grand nombre, pas seulement deux ou trois. Selon Shashi, les formations de couture sont déjà un volet suffisant du projet d’émancipation des femmes et il vaudrait mieux faire appel à des femmes spécialistes, déjà expérimentées, qui se trouvent à Lucknow ou Shahjahanpur pour les commandes (car le contrôle qualité avec les femmes de Bamrouli lui prend trop de temps). De plus, Shashi nous apprend qu’elle souhaite monter une boutique à Lucknow pour vendre les objets des femmes et ainsi avoir plus de commandes.

Ce projet est, certes, très intéressant mais nous avons été étonnées qu’elle veuille se lancer dans un projet aussi gros alors qu’elle nous dit ne pas avoir le temps de tout gérer à plus petite échelle. D’un commun accord, il est alors décidé de suspendre le projet d’AGR de Bamrouli sur une durée d’un an. Ce temps disponible permettra à Shashi de réfléchir au mieux sur ce projet de boutique en réalisant en amont une étude de faisabilité. De plus, elle aura ainsi plus de temps pour essayer de trouver des ressources financières indiennes comme il avait été convenu depuis plusieurs années, condition importante pour une meilleure pérennité des projets.

Construction de l’école de couture

En raison d’un durcissement du gouvernement indien envers les organisations non gouvernementales étrangères, notre demande FCRA (Foreign Contribution Regulation Act) est bloqué. Pour rappel, nous en sommes déjà à notre 5ème demande !! Reena Mahajan, architecte, qui s’occupe de ce projet est actuellement en Inde pour 2 semaines. Elle va rencontrer Shashi et planifier les débuts des travaux malgré la non obtention du FCRA. Pour rappel, nous avons obtenu les fonds pour l’école en 2011.

Soutien scolaire

Une quinzaine d’enfants du village viennent tous les matins dans la salle Sruti pour bénéficier de 2 heures de soutien scolaire. Ces séances, qu’animent Sanjay, visent à aider les enfants qui vont à l’école à faire leurs devoirs et à comprendre leurs leçons, ainsi qu’à apprendre à ceux qui ne vont pas à l’école les rudiments de la lecture et de l’écriture. Cette fois-ci, le soutien scolaire s’est transformé en 2 matinées de séances éducatives à travers des jeux. Prévention sur le lavage des mains (dessins), jeux d’apprentissage de l’anglais à travers une ronde chantée, visionnage d’une petite vidéo en anglais…

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Nous avons aussi proposé aux enfants une histoire sur Praline, la souris qui ne se brossait pas les dents, pour aborder le thème du brossage des dents. Les enfants ont pour certains des brosses à dent et utilisent du dentifrice. D’autres, comme il est d’usage dans les zones rurales, utilisent de la poudre à base de plantes et leurs doigts pour frictionner dents et gencives. Plus personne n’utilise les branches de margousier (neem).

Dans la famille où nous sommes hébergées travaille une petite fille qui s’appelle Nancy. Elle vient laver la vaisselle après les cours et travaille aussi dans d’autres maisons. Ses grandes soeurs travaillent aussi en tant que domestiques. On nous signale que leur maman ne souhaite pas que ses enfants étudient et préfère qu’ils travaillent. Nous invitons Nancy à se joindre au groupe dès qu’elle le peut.

Programme de parrainage

Au cours de notre séjour à Bamrouli, nous avons rencontré les enfants parrainés par l’association ETC (Rohit, Radha, Priyanshi, Reena, Anjali, Jyoti, Nihal). En raison de la saison des mariages et de la préparation des examens, certains enfants n’étaient pas au village et nous n’en verrons finalement que 3 sur 7 en plusieurs visites (Rohit, Priyanshi, Radha et leurs famille). Rohit vient souvent à la maison où nous sommes hébergés. Il aide son oncle qui s’occupe du bétail en attendant de passer ses examens en avril. Il avait bien reçu la lettre transmise par la classe de 5ème du collège Jules Verne de Rueil-Malmaison (92), transmise par Shashi Singh. Il a compris la plupart des questions et Insha lui a proposé de préparer ses réponses au brouillon en anglais avant de les rédiger au propre dans une lettre commune.

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Mariage de Niti

Lors de notre séjour, Niti, la professeure de couture s’est mariée avec un jeune homme, Vijay, qu’elle n’avait jamais vu auparavant et qui fait des études dans une école d’ingénieur. Il a 28 ans et elle 22. Première rencontre le jour du mariage. Les mariages arrangés sont malheureusement extrêmement courant en Inde et plus particulièrement dans les villages. Intéressant d’être présent mais sensation très étrange d’assister à ce genre de mariage.

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On voit très peu de femmes dans l’espace public sauf au moment du buffet. Les femmes restent dans la cour intérieure de la maison tandis que la plupart des invités masculins se regroupent dans l’espace aménagé de tapis et de tentes à l’extérieur de la maison. Aucune femme ni fillette n’a dansé lors de la soirée tandis que les jeunes garçons et hommes s’en sont donnés à coeur joie.

À noter que les personnes de basses castes du village participent aussi à la fête puisqu’ils ont accès au buffet comme tout le monde. Des chiens circulent entre les invités qui se servent aux différents stands et jettent nonchalamment leurs assiettes en carton par terre alors que des bassines de récupération sont disposées à cet effet. Très vite, le sol est jonché de détritus et il faut faire attention de ne pas glisser sur des restes !!

Nous rentrons assez vite, après avoir assisté aux rites d’arrivée du marié (transporté dans les bras d’un oncle de Niti) jusque devant le Pandit (le prêtre brahmane) et, bien plus tard, à l’échange des colliers de fleurs (Jaymala) sur une estrade. La suite des rites continuera jusqu’au petit matin sous le mandapa (dais sous lequel se trouve l’espace consacré pour les rites) installé dans la cour intérieure de la maison.

Le samedi matin, Niti, se rend au temple du village pour faire ses adieux et les invités sont conviés à prendre un petit-déjeuner avant le départ de la mariée dans sa belle famille, accompagné des pleurs de toute la famille.

À suivre…