En arrivant dans l’école du bidonville de Dubagga, ma première impression fut la joie et le respect que ces enfants m’ont témoigné lors de notre arrivée, leur politesse puis leur soif d’apprendre, et leur enthousiasme constant à faire des choses et à jouer malgré la timidité de certains.

Au début, la température d’environ 18 degrés était parfaite mais le tapis sur lequel les enfants restaient assis était vraiment trop humide. Certains enfants parmi les plus petits toussaient ou se mouchaient tout le temps. Certains sont restés malades chez eux durant plusieurs jours. Nous avons racheté un nouveau tapis avec Patrick mais la chaleur est arrivée assez vite. J’ai dû m’habituer au bruit constant car nos classes à Patrick et à moi se passaient en même temps durant cette première heure et demi.J‘ai été étonnée par la propreté de cette classe malgré sa simplicité et la politesse des enfants. Je les ai trouvé « bien éduqués et obéissants ». J’ai assez vite réalisé le mode pédagogique de « copier et faire pareil que l’adulte, et répéter comme un perroquet ». J’ai essayé de penser à des exercices ou activités qui leur permettent d’inventer et de créer par eux même, de prendre des initiatives et d’oser s’exprimer personnellement. Ce fut l’objectif de ces deux semaines pour les petits et pour les grands. Les instituteurs veulent trop faire à leur place et ne leur laissent pas le loisir de chercher par eux même, de se tromper et de trouver des idées….

J’ai réalisé que les enfants n’étaient pas du tout gênés et arrivaient à se concentrer même avec tout le bruit autour. Nous avons travaillé 2 semaines (de 9h à 16h30) dans

l’école de Dubagga avec 3 groupes distincts d’environ 15 enfants. Patrick enseignait l’anglais au début de la matinée, puis ensuite était traducteur, photographe et vidéaste…

Pendant le groupe d’anglais de Patrick, je travaillais avec le groupe des petits.

Le matin un groupe de 17 enfants (de 4 ans à environ 10 ans):

La classe de Kusum de 9h à 10h30.

Filles : Jzana, Isham, Mona, Nazrin, Kuchnuma, Sofia.
Garçons: Rihan, Shifa, Gulafsha, Shehanawaz, Nadim, Afrin, Earam, Sahil, Saifali, Tosif, Toseef.

J’ai pris deux matins pour comprendre ce que je pouvais faire de mieux avec eux. J’ai commencé par essayer de fabriquer des marionnettes en sac plastique et bidons, avec un prototype que j’ai beaucoup pratiqué dans plusieurs pays, qui accompagnait un spectacle que nous jouions avec ma Compagnie. Mais certains étaient trop petits et c’était un peu laborieux; nous avons quand même fait une initiation au jeu marionnettique. Ils disaient oui à tout (Yes mam’ !), répondaient directement dans le jeu et étaient à fond avec moi. Certains un peu sur la réserve se sont vite détendus. En échauffement, nous avons fait tous les gestes et mimes de la préparation du matin (lever, laver les dents, prendre une douche, etc…).

Le 3ème jour, j’ai commencé à travailler plus en mouvement dans l’espace avec un peu de musique (j’avais apporté une petite enceinte). Ils adoraient, mais la place manquait un peu et la classe de Patrick en était un peu dérangée…

Cependant, nous avons continué dans cette voie avec les conseils de Kusum, qui ma accompagnée complètement, durant tous ces ateliers. Elle traduisait tout. Parfois pas dans le bon sens mais ce n’était pas grave. En fait elle voulait toujours jouer à leur place ! Sacrée comédienne ! Mais petit à petit je lui expliquais l’importance qu’ils fassent par eux même.

Nous avons fait tout un parcours corporel avec des sacs en plastiques, et la nature, les animaux, et les émotions. Nous avons exploré le mouvement les rythmes et les sons-parfois des mots en anglais ou hindi- des arbres qui bougent dans le vent, de la pluie qui descend dans le sol, de l’orage qui attaque, des fleurs qui poussent petit à petit, puis des animaux, avec leurs noms en hindi et en anglais, et leur mimes. Nous avons aussi exploré le matériau du sac plastique et ses différentes possibilités (couleur, bruit, froissement, déploiement, pliage, voile, etc…) et avons enfin élaboré une sorte de chorégraphie théâtrale, mimée et dansée avec ces sacs en plastique rouges, agrémentés à la fin de fleurs multicolores qu’ils ont eux même fabriqué avec l’aide de Kusum et moi-même. Ils étaient très consciencieux pour plier les sacs à la fin de la séance de manière parfaite !

Enfin, ils ont fait une représentation de 5 mn devant les parents. C’était très beau et très musical, juste avec des sons, des mouvements et des mimiques et une façon particulière de manipuler les sacs. Comme je ne parle pas Hindi, et que Kusum ne comprenait pas toujours mon anglais, j’ai dû tout expliquer par le mime et des sons/codes qui voulaient dire ceci ou cela. Par exemple, je faisais « tchoum » avec un geste de rassemblement et ils se regroupaient d’un coup au centre, je faisais « tchap » et ils devaient s’éloigner, je disais « take the line » et ils devaient faire des lignes etc…tout cela ensemble et en même temps. C’était une très belle expérience de pédagogie, surtout dans un pays où les repères ne sont pas les mêmes qu’en occident, car même pour moi il me fallait trouver comment faire comprendre par exemple « se faire passer un objet de l’un à l’autre », etc…

Classe de 10h30/13h, les grands, classe de Shakeel :

Au début, Patrick faisait la classe d’anglais de 9h à 11h 30, je prenais les moyens en demi classe de théâtre avec Kusum vers 11h, mais cela devenait vraiment compliqué à cause du bruit, j’ai donc proposé que les deux groupes se rassemblent, les grands et les moyens, pour le théâtre. Comme nous allions parler en anglais, cela contribuerait aussi à leur apprentissage d’anglais. On poussait donc toutes les tables et bancs, et on prenait l’espace vidé.

12 enfants : 8 garçons, et 4 filles :

Filles : Rihana, Szahiba, Ruxana, Sharmin.
Garçons : Rizvan, Halim, Hakkekat, Rafioula, Arselan, Hassin, Raishem, Mouskaan.

A ce groupe se rattachait le groupe des moyens du matin, mais je n’ai pas retrouvé leur noms…

Avec eux nous avons fait un cours de théâtre tel que je les pratique en France, avec la traduction systématique de Patrick ou Kusum. Parfois Shakeel ou Shashi participaient aussi, mais leurs traductions étaient en général à côté du sens ! Ce n’était pas simple d’obtenir le silence entre les 4 profs qui voulaient mettre leur grain de sel et les enfants qui parlaient sans arrêt entre eux. Mais j’ai été assez intransigeante avec ça. Patrick passait son temps en dehors de traduire et filmer à dire : « Tchuppi lè » (silence !)

Groupe de l’après-midi avec les enfants parrainés moyens grands (plus mélangés en âges) :

Filles : Nasrin, Mantisha, Inama, Rubi, Saima, Afsana, Tamana.
Garçons: Wali, Saif, Sana, Waseem, Amir, Saad, Tahid, Faazil.

Echauffements corporel : en cercle : étirements vers le ciel, enroulement, marcher avec plusieurs consignes, dans plusieurs environnements, sautillement, se secouer, se masser le dos, (les filles et les garçons ensemble bien sûr) etc…, puis travail vocal et ludique.

Les petites scènes mimées et bruitées (le nuage que l’on essore et rejette au loin mais qui vous revient à la figure, et la sorcière qui crée une nouvelle potion qui va la transformer en grenouille) ; ces scènes mimées, demandent une précision du geste et du bruitage. Ils le font tous sur mon modèle et ensuite le font seuls devant les autres.

Exercice en cercle avec le fameux « Ya Cha To » ! que tout le village a fini par connaitre. C’est un jeu de préparation théâtrale gestuel et vocal, qui est pratiqué par des comédiens professionnels et amateurs dans beaucoup de pays du monde ! Exercice d’attention, de voix énergique, de réactivité et de rythme, c’est assez virtuose quand on le fait vite. On procédait ensuite à l’élimination de ceux qui se trompaient, ce qui les excitait d’autant plus.

Ils ont adoré cet exercice et on l’a fait presque tous les jours. Des enfants passaient dans la rue et de dessous la fenêtre scandant « Ya cha to !! ya cha To ! »

Improvisations sur les émotions, joie, tristesse, peur et colère (et puis plein d’autres choses)

On commence par un faux match de boxe, l’idée étant de donner et recevoir des coups en mimant et en disant très fort « CHA ! », et le plus loin possible l’un de l’autre dans l’espace. Puis quand je tape dans les mains, ils doivent improviser directement une situation avec une émotion qui est donnée au début. Nous avons exploré beaucoup de petites situations proches de leur vie dans le village.

Exemple de situation: Le voisin ou voisine, trouve que la classe de théâtre fait trop de bruit, et il ou elle vient sermonner l’instituteur.trice, très en colère, en le menaçant d’un tas de choses, et l’instituteur. trice essaye de montrer à ce voisin, tout ce qu’ils font dans l’école, et combien c’est formidable en montrant toutes les choses, le pilier qui soutient le toit, les nouvelles armoires qui ferment à clé, les affiches pédagogiques et les dessins d’enfants au mur, le nouveau tableau noir etc…etc…. il ou elle doit s’appuyer sur des actions concrètes et essayer d’aller loin dans l’émotion. C’est presque un jeu de masques, proche du clown ou de la comédia del arte, très poussé. Je me suis rendue compte qu’ils étaient très forts pour les paroles, je ne comprenais rien mais les rires des autres enfants me prouvaient que leurs arguments étaient justes et pertinents! Par contre, je les poussais à faire des actions plus que du dialogue simple.

Exemple d’autres petites situations :

1- l’instituteur s’est endormi sur sa chaise au milieu de la classe, et c’est la mousson ; la classe a été inondée à environ 50 cm, un autre arrive pour le tirer de là, mais l’instit ne veut que dormir puis finalement, va se réveiller paniqué. Celui qui vient le secourir a des nouvelles chaussures qu’il ne veut pas mouiller, il doit donc les enlever, et traverser l’eau boueuse ses chaussures à la main, mais l’une d’elles tombe dans l’eau, il la cherche paniqué et très pressé en même temps, vient s’ajouter qu’il y a des rats qui nagent dans l’eau et lui mordent les mollets, il a du mal à marcher vite dans l’eau haute mais il doit sauver son collègue de la noyade etc… (Saad nous a fait mourir de rire dans ces situations improvisées !!!). Cette histoire a été reprise plusieurs fois avec des variantes cocasses.

2-il y a le feu dans le village et il faut s’enfuir, mais ceux qui travaillent dans la classe ne croient pas celui qui vient les prévenir. Il doit être force de persuasion et les motiver à venir.

3-une personne vient d’acquérir une nouvelle très grande télé, il est super heureux, et vient l’annoncer à son ami, celui-ci va voir, mais la télé a disparue…volée ? ils sont tous les deux très désespérés. ils passent de la joie sans limite à une peine insoutenable.

4- il y a un serpent dans le coin de la classe, il faut le tuer mais à chaque fois il ressurgit dans un autre coin…

Improvisations préparées : Le 2 ème jour nous avons demandé aux jeunes ado d’imaginer une scène à deux, filles et garçons mélangés et avons demandé que les filles jouent les garçons et les garçons jouent les filles. Ils ont très bien réagi. Les garçons ont commencé à mettre les foulards des filles, et les filles à se les enlever.

Il a été question la plupart du temps d’un jeune couple, où la femme suppliait son mari de lui acheter ceci ou cela, ou lui demandait de faire quelque chose de difficile ou d’inaccessible, qui n’était jamais possible; devant son incapacité à pouvoir satisfaire ses désirs, la femme soit se mettait en colère, soit pleurait, soit arrivait à ses fins par miracle finalement.

Nous avons imaginé toutes sortes de petites situations loufoques qui les obligeaient à avoir peur ou à éprouver une grande joie, ou à être très en colère, ou encore très tristes…ils ont tous fait ces exercices.

J’ai donné de ma personne dans les mimes et autre clowneries pour leur expliquer certaines choses car l’anglais ne suffisait pas ! Ils riaient beaucoup et ont bien progressé dans leur jeu, et leur crédibilité émotive.

Puis nous avons travaillé à élaborer des petites saynètes à présenter en public.

Des petites histoires mise en scène:

Groupe du matin :

– Le touctouc et la vache : Un touctouc, avec son conducteur, qui fait des histoires sur le prix ou sur la direction à ses différents passagers, qui crache à tout bout de champs, et les passagers qui s’entassent au fur et à mesure, et puis une vache bloque la route. Le chauffeur visiblement musulman la chasse à coup de bâtons mais un homme visiblement, Hindou sermonne le chauffeur. Finalement, la vache ne bouge pas et propose ses conditions : « elle ne bougera que si le chauffeur l’emmène au restaurant ! » Il accepte, elle monte dans le touctouc allongée sur les passagers ahuris.

– Sur la propreté et les poubelles : Des gens passent dans l’espace de la classe au milieu de laquelle il y a une grande poubelle, comme si c’était une rue. Inattentifs, les gens jettent tous leurs déchets par terre, sans arrêt, à chaque passage ils lâchent un ou deux sacs en plastique ou du papiers de bonbons ou gobelets etc…un homme arrive et constate le désastre. Il ramasse tous les papiers et sacs plastique qui trainent partout tout en faisait un monologue improvisé sur l’irresponsabilité de ces gens qui ne voient même pas qu’il y une poubelle etc…(Akkekaat)

(entre temps je leur avait fait une mini conférence sur la pollution sur la planète et l’existence du Grand garbage -7ème continent de plastique dans le pacifique- et leur

chance incroyable d’avoir accès à l’éducation et aux études grâce à cette école. Ils ont dit qu’ils allaient commencer par nettoyer leur village…)

Groupe de l’après-midi :

– Sur le droit des femmes :

Des femmes sont élues au gouvernement représentant le ministère des femmes. Elles vont énoncer en public les nouvelles propositions de lois pour les femmes en Inde : d’une part, elles veulent étudier et ne pas se marier avant 18 ans, d’autre part elles veulent continuer leurs étude jusqu’au bout même si elles se marient et pouvoir travailler. Pendant qu’elles énoncent ces lois, deux hommes sont assis de part et d’autre de leur présentation. L’un d’eux est absolument outré et contre ces lois, il se révolte mais l’homme assis de l’autre côté vient le rasseoir sur sa chaise car lui, il défend vraiment les droits des femmes. Finalement, le premier homme se fait éjecter de la salle par les femmes elles mêmes. C’était assez convainquant dans la révolte des femmes / filles, et drôle dans leur manière de renvoyer l’homme/ado.

Cette scène nous a été initialement proposée par Shashi car nous voulions faire quelque chose sur le mariage ; mais d’après elle, notre idée était trop risquée, on allait se faire virer du village ! Donc c’est un premier pas vers l’éducation des femmes !

Le dernier jour de notre mission, nous avons présenté un spectacle d’environ 1h comprenant les échauffements, les petits mimes, et les saynètes travaillées. Le public, composé essentiellement des femmes avec tous les enfants et de quelques rares hommes, était enchanté et rigolaient beaucoup. Nous étions entassés dans ce petit espace mais c’était merveilleux !!!

Sortie au parc :

Avec le groupe des grands du matin, nous avons un jour fait une sortie au Bouddha Parc. C’était très joyeux et ils étaient ravis. Ils couraient partout, ont fait du pédalo, des jeux de ballons etc…Nous leur avons offert des glaces et des boissons et sommes allés ensuite visiter l’Imambara. Nous sommes rentrés tous en touctouc.

Les filles me prenaient la main, et tout le monde marchait au milieu des rues avec Shakeel et Patrick en tête de cortège, Kusum et moi en queue. J’étais un peu surprise du manque de sécurité avec les enfants mais eux avaient l’air de trouver cela tout à fait normal !…J’essayais de monter sur les trottoirs- quand il y en avait !

Nous avons aussi eu des moments de partages au sein de l’école, avec des repas préparés et une après-midi de jeux.

Séjour très puissant émotionnellement, des enfants vraiment gentils et ouverts, très joyeux, et avides d’apprendre. J’y retournerai volontiers.

PS : un grand merci à Shashi pour son accueil, sa disponibilité, ses conseils et ses bons repas préparés tous les midis.