1. L’ÉDUCATION : UN DROIT FONDAMENTAL

L’éducation constitue un droit de l’homme fondamental : chaque enfant y a droit.

Tous les enfants méritent une éducation de qualité enracinée dans le concept d’égalité des sexes.

L’éducation permet une vie meilleure. Elle est indispensable pour mettre fin aux cycles générationnelles de pauvreté et de maladie et elle donne les moyens de parvenir à un développement durable. Une éducation de base de qualité va permettre aux filles et aux garçons d’avoir des connaissances et des compétences nécessaires pour adopter un comportement responsable par rapport à leur santé, et de jouer un rôle actif dans le processus décisionnel en matière sociale, économique et politique lorsqu’ils passent de l’adolescence à l’âge adulte. Ayant reçu une éducation, ces adultes sont mieux en mesure d’envoyer à leur tour leurs enfants à l’école.

Un responsable d’un centre de formation pour les femmes en Inde tient ces propos : « il faut éclairer les futures mères qui, à leur tour, pourront créer une famille éclairée, permettant ainsi de produire un village éclairé et ensuite un pays éclairé ».

Une éducation axée sur les droits fondamentaux permet aussi de lutter contre les inégalités de nos sociétés, profondément enracinés et souvent sexistes.

Depuis de nombreuses années, L’UNICEF, le gouvernement indien et de multiples partenaires locaux, nationaux et internationaux travaillent sur ce chantier colossal avec pour but la réalisation des objectifs en matière d’éducation et d’égalité entre les sexes fixés par la déclaration des Objectifs du Millénaire pour le Développement : assurer l’éducation primaire pour tous d’ici 2015 et éliminer les disparités entre les sexes à tous les niveaux du système éducatif d’ici 2015.

Rappelons le taux d’alphabétisation en Inde, qui est de 70 % pour les hommes et de 48% pour les femmes.

Depuis 20 ans, on peut se féliciter des progrès considérables que l’Inde a fait quant à son système éducatif : de 1985 à 2007, le taux d’alphabétisation des enfants est passé de 60 à 80%.

Mais beaucoup de choses sont encore à faire car il reste environ 50 millions d’enfants de 6 à 11 ans totalement illétrés et 50 % des enfants abandonnent l’école vers l’âge de 10 ans.

 

2. LA LOI SUR LE DROIT À L’ÉDUCATION

Ainsi, depuis le 01 avril 2010, l’Inde a adopté une loi sur le Droit à l’éducation garantissant à chaque enfant de 6 à 14 ans le droit à un enseignement gratuit et obligatoire.

Pour soutenir ce projet, la Banque Mondiale a débloqué 1 milliard de dollars.

Cette loi vise à assurer que dans la mesure du possible , les gouvernements des Etats indiens offrent une scolarisation publique à tous les enfants. Mais elle oblige aussi les écoles privées à réserver un quart de leurs places pour les enfants de familles pauvres et de castes inférieurs.

Cependant, cette loi présente déjà plusieurs défauts :

– un des grands problème du système public est l’absentéisme des enseignants qui est très élevé. En effet, les enseignants du public ne peuvent pas être licenciés. Très souvent, un enseignant du public va aussi et surtout travailler dans le secteur privé pour améliorer ses revenus. De ce fait, il assurera peu ses cours dans le public. La loi ne parle pas de la responsabilité des enseignants devant les parents. Les syndicats d’enseignants sont trop puissants pour que les hommes politiques puissent leur imposer une quelconque discipline !!

Actuellement, des millions d’enfants finissent leur scolarité du primaire sans être capable de lire de courts paragraphes ou de faire des additions toutes simples. Or, cette nouvelle loi ne parle que de l’accès aux écoles. Elle se préoccupe seulement des entrées et non des résultats. Sans compter que dans le public, on compte 1 enseignant pour 60 élèves !! Même si l’enseignant est là, la qualité de l’enseignement ne peut être que médiocre.

Cette loi offre ainsi un droit à la scolarisation et non à l’éducation !!

– Les enfants des familles les plus riches obtiennent de meilleurs résultats parce qu’ils bénéficient des cours privés le soir, dispensés parfois par le même enseignant qui était absent à l’école publique le matin. La nouvelle loi interdit ainsi au personnel enseignant du public de donner des cours particuliers. Mais les enseignants enfreindront certainement cette règle en toute impunité !

– La nouvelle loi stipule que toutes les écoles privées doivent réserver un quart de leur siège à partir de la première année aux enfants du voisinage appartenant aux  »classes défavorisées en matière sociale et éducative », aux castes hindoues inférieurs et aux pauvres, ce qui constitue plus de la moitié de la population …  Pour ces enfants, l’État remboursera les écoles privées selon une base forfaitaire. Certaines écoles privées craignent déjà que ce système leur entraine des coûts importants car le remboursement de l’État ne sera pas à la hauteur des frais engagés. Ils vont probablement solliciter les tribunaux contre cette disposition …

 

3. LES DISPARITÉS EN MATIÈRE D’ÉDUCATION

Comme on le voit, la scolarisation de tous les enfants indiens reste encore un défi de taille dont la réalisation sera difficile à atteindre. Des disparités en matière d’ éducation persistent :

En fonction des régions : certaines régions ont plus de moyens pour permettre la scolarisation des enfants. Dans l’État de Kérala, la quasi totalité des enfants sont scolarisés en école primaire, alors que dans l’État du Bihar, seul un enfant sur 2 est scolarisé …

Ces disparités s’expliquent notamment par le caractère plus urbain ou rural des régions. Les enfants pauvres et habitant dans les milieux ruraux ont moins de chance de pouvoir aller à l’école.

En fonction des castes : les dalits (castes des intouchables) sont souvent mis en marge du système éducatif. Malgré les efforts déployés pour réduire les discriminations basées sur les castes, les taux de scolarisation des enfants dalits restent très faibles.

En fonction du sexe : la proportion des filles qui peuvent aller à l’école reste faible si on la compare à celle des garçons du même âge. Environ 70 % des filles de 6 à 10 ans vont à l’école primaire contre 76 % des garçons de la même classe d’âge. Ensuite, on compte seulement 40 % de filles qui continuent l’école après l’âge de 10 ans alors que le pourcentage de celui des garçons diminue beaucoup moins.

Or, comme a de nouveau affirmé un responsable de l’éducation de l’UNESCO, à l’occasion de la Journée Internationale de l’alphabétisation à New-Dehli : « Aucun progrès social ne peut se produire sans l’instruction des femmes ».

 

4. LES PRINCIPAUX FREINS À L’ÉDUCATION DES FILLES

Parmi les principaux facteurs de cette disparité figurent la pauvreté et la persistance de préjugés et traditions socio-culturels qui conduisent à une discrimination à l’encontre des filles.

– Tout d’abord, un des problèmes majeurs est celui des mariages précoces.

L’âge minimum légal pour se marier a beau être de 18 ans, les mariages d’enfants restent fréquents toujours actuellement. On estime que 46 % des femmes indiennes se sont mariées avant d’avoir 18 ans, et dans les régions rurales du pays, la proportion est de l’ordre de 55%. Cela signifie l’entrée dans l’engrenage des grossesses précoces et répétées (problème de santé ++). Cela signifie aussi le plus souvent la fin de l’éducation qui représente la meilleure chance qu’ont les filles d’accroitre leur influence au foyer, sur le marché du travail et dans la communauté entière.

– Puis vient le problème de la représentation de la femme dans la société indienne. Très souvent et surtout dans les régions rurales aux valeurs très patriarcales, les filles sont considérées comme des êtres sans valeur et sont élevées dans cette culture d’infériorité. Pourquoi envoyer la fille à l’école alors que son rôle est de s’occuper des tâches ménagères et de se marier ?? Il ne faut pas oublier que le taux d’alphabétisation des femmes est de moins de 50 % et très souvent les mères elles mêmes ne voient pas l’intérêt d’envoyer leur fille à l’école.

Bien sûr et heureusement, des exceptions existent :

des mères travaillent aussi très dures et se privent parfois de manger pour envoyer leur fille dans une école privé. Elles sont très conscientes de l’importance de l’éducation pour leur fille :  » je ne veux pas que ma fille ait la même vie que moi . Je veux qu’elle étudie, qu’elle soit indépendante et qu’elle réussisse », dit une de ses mères.

Dans l’association Sruti, on essaye d’expliquer attentivement à chaque parents pourquoi il est utile d’envoyer leurs enfants à l’école et plus particulièrement les filles. Depuis l’ouverture de l’école il y a 1 an, nous voyons de plus en plus de petites filles s’inscrire, même si elles représentent bien moins de la moitié des effectifs de l’école Sruti. Quand une fille (ou un garçon) ne vient plus pendant quelques jours, la coordinatrice du programme retourne voir les parents, ou la mère ou la gand-mère pour savoir les raisons de l’absence puis réexplique inlassablement pourquoi il est important que leur enfant vienne à l’école.

– Un autre problème pas assez connu est celui des toilettes. Il n’y a pas toujours de latrines dans les écoles et encore moins des latrines juste pour les filles. Certains parents dans ce cas là refusent de les envoyer à l’école car ils ont peur des attouchements sur leur fille et qu’elle perde ainsi sa virginité.

– Idem si l’école est trop loin de leur domicile avec le problèmes des risques d’agression auprès des filles lors du trajet domicile-école.

En 2005, un atelier a été organisé par l’UNICEF à New-Dehli, et une cinquantaine de filles venues de 7 états se sont réunies pour débattre et partager leur expérience en matière d’éducation.

Ces filles qui participaient à l’atelier avait été à l’école pendant au moins 5 ans, malgré une forte opposition  de leur famille et de leur communauté. Elles ont parlé de la bataille qu’elles avaient du livrer pour aller à l’école. Elles ont dit avoir été libérées, grâce à l’éducation , des chaines qui leur avaient semblées impossibles à briser, leur ouvrant ainsi des vies et des opportunités dont elles avaient seulement rêvé auparavant.

En s’exprimant par le théâtre, les filles ont demandé que les écoles soient situées plus près de chez elles, que ces écoles soient sûres et propres, avec des toilettes qui fonctionnent, que les enseignants soient diplômés et qu’il y ait aussi des enseignantes et que l’enseignement soit approprié.

 

5. ASSOCIATION DE L’ALPHABÉTISATION À UNE FORMATION PRATIQUE

En dehors du système scolaire Indien, il y a aussi beaucoup d’associations qui proposent des cours d’alphabétisation aux femmes, tout en étant couplés à des formations professionnelles (très souvent des formations de couture et broderies). On rentre alors dans le concept de la participation  communautaire qui tient compte en premier lieu des expériences des femmes dans leur communauté. L’élément clé des ces programmes est l’association de l’alphabétisation à une formation pratique. L’éducation et l’alphabétisation ne sont pas alors présentées comme la solution à tous les problèmes mais plus comme un moyen de permettre aux femmes d’utiliser leurs compétences.

Exemple de l’association Sruti qui a monté un programme de formation de couture ayant pour but d’amener une indépendance économique et ainsi une certaine forme de liberté à  des femmes d’un village en Uttar Pradesh.  A l’intérieur de cette formation, des cours d’alphabétisation et d’éducation à la santé leur sont proposées. Ces femmes rurales défavorisées peuvent alors abandonner leur attitude de soumission passive pour décider activement de leur vie et de leur environnement.

 

6. SCOLARISÉES MAIS AU FOYER !

Un autre point me paraît très important à souligner : le cas des jeunes filles scolarisées , qui sont  allées à l’université mais qui pour des raisons socio-culturelles ne pourront jamais exercer leurs compétences dans le monde du travail, alors qu’elles le désirent.

On est dans le cas d’une scolarité accrue et brillante qui n’est alors pas du tout le gage d’une autonomie retrouvée. Un vrai paradoxe !! Les parents des classes privilégiées recherchent une épouse diplômée de la meilleure université pour leur fils, et s’attendent à ce que la belle-fille range son diplôme dans un placard pour demeurer à la maison et y élever les enfants… Les filles scolarisées sont très prisées dans les petites annonces matrimoniales regroupées par religion, caste et même par  professions …

Malgré la pression sociale, les femmes sont de plus en plus nombreuses à retarder leur mariage au profit d’études universitaires mais une fois mariés, elles se retrouvent très souvent pris au piège à l’intérieur de leur propre foyer.

Exemple de Usha (belle-soeur de Shashi, coordinatrice des programmes Sruti), qui a un master en sciences humaines et qui depuis son mariage (10 ans) passent ses journées entières à s’occuper de ses 2 enfants et des tâches ménagères… On essaye vainement de lui proposer un rôle actif dans l’association Sruti ce dont elle rêve, mais nous sommes face chaque fois au refus de son mari :  »je lui donne de l’argent pour acheter de la nourriture et des vêtements pour elle et les enfants. Donc elle n’a pas besoin de travailler ! »

Je finirais mon intervention par le témoignage d’une jeune femme de 18 ans, qui a subi un mariage précoce à l’âge de 13 ans. Elle a actuellement deux enfants. Elle a pu rentrer dans un programme de formation professionnelle « cours de couture – alphabétisation ».

Elle nous a livré ses belles paroles : « Je n’aurais jamais imaginé qu’un jour je saurais lire et écrire. Mais maintenant je peux, et je suis tellement fière que je n’arrive pas à trouver les mots pour exprimer mon sentiment de réussite. J’ai l’impression que les joyaux que les femmes portent ne sont que des choses superficielles. Le véritable bijou : c’est l’éducation ».

 

Alexandrine Lambotte-Saligari, présidente de l’association Sruti.
Intervention faite à Créteil lors de la journée « Femmes et développement : ici et là-bas », le 13 Septembre 2010.